En 1860, l’Italie est enfin devenue une nation unie, mais elle entre bien tard dans la course aux colonies des puissances européennes. Pour les Italiens, les provinces Turques de Libye et notamment celle de Cyrénaïque, représentent une cible évidente. D’autant plus évidente que la France vient de s’octroyer un « protectorat » sur la Tunisie voisine. Or, l’Italie la convoitait aussi, pour sa proximité avec la Sicile et ses ports naturels. Tant pis ! La Libye fera l’affaire de Rome.
De 1905 à 1911, l’industrie italienne multiplie les implantations en Tripolitaine et en Cyrénaïque, des entreprises d’extraction de matières premières s’installent sur place, tandis que de riches investisseurs italiens, achètent progressivement les rares terres cultivables le long de la côte. En 1911, La Libye appartient économiquement aux Italiens qui y sont de plus en plus influents. Dans les palais et chancelleries d’Europe le doute n’est plus permis. Rome exigera tôt ou tard son du !
En septembre 1911, le ton monte entre Italiens et Turcs. Rome accuse les troupes Ottomanes stationnées en Libye d’armer des tribus indigènes nomades, en vue de menacer les intérêts économiques italiens de Cyrénaïque. Il vrai que le Sultan turc voit d’un assez mauvaise œil la montée en puissance de l’Italie en Libye. Rome émet un ultimatum clair : Soit l’Empire Ottoman accepte l’occupation du pays par les troupes transalpines, soit les hostilités débuteront. Face au silence turque, l’Italie déclare la guerre à un adversaire déjà empêtré dans des luttes intestines.
Le 01 octobre 1911, l’imposante flotte de guerre italienne, sous les ordres de l’Amiral Farafelli, fait son apparition au large de Tripoli, capitale de la province Ottomane. En position de force, Farafelli et le consul italien en Libye, Gali, exigent au nom de l’Italie, la reddition sans conditions de Tripoli et le départ des troupes Ottomanes en garnison dans le pays. Les Turcs, désappointés, quittent le bâtiment de ligne de l’amiral, prétextant d’un délai de réflexion afin de gagner du temps. Mais, le lendemain , Farafelli prend l’initiative de forcer la décision des Ottomans et ordonne de procéder au bombardement côtier des forts de Tripoli. Une pluie d’obus de tous calibres tombent sur les défenses, mais aussi les quartiers d’habitation du port libyen. Le 05 octobre l’amiral italien fait débarquer ses bataillons d’infanterie et de fusiliers marins, sous la couverture des canons de la marine. La résistance turque est symbolique voire inexistante. Tripoli tombe en moins de 12 heures…
Dans les semaines et les mois qui suivent, Les Italiens concentrent leurs principales attaques sur les villes côtières et les ports du pays. 35.000 soldats débarquent. Il s’agit d’une armée moderne, bien équipée, encadrée et entraînée. L’état-major turc le sait. Il ne peut rien faire avec ses 5.000 soldats et ses unités organisées selon un système quasi féodal. Jouant au chat et à la souris, les Turcs se replient à l’intérieur des terres. Des officiers Ottomans dont Mustapha Kemal, futur Atatürk, organisent un embryon de résistance avec des tribus libyennes. Parallèlement, la situation turque dans les Balkans se dégrade rapidement et contraint le Sultan à faire la paix avec l’Italie, d’autant que la ville portuaire de Benghazi vient de tomber aux mains ennemies. Rome innove même dans l’art de la guerre et met en place une flottille d’avions basée en Libye. Un pilote Gaffoti prend l’excentrique habitude de jeter des bombes et des grenades sur les soldats ennemis. Le concept du bombardier vient de naître ! Les deux belligérants signent donc un traité de paix en octobre 1912, à Lausanne, en Suisse. La Libye est désormais terre italienne par annexion. Mais, le Sultan Turc, en leader religieux musulman, rappelle aux Libyens les lois de la Sharia et les invite à embrasser la Djihad dès 1912 ! Celle-ci est proclamée, les infidèles Italiens ne doivent pas s’emparer d’une terre musulmane.
Sur le terrain, les Turcs partis, les Libyens résistent aux envahisseurs avec les quelques armes légères dont ils disposent. En 1914, malgré une occupation des points clefs du pays, les Italiens ne sont toujours pas complètement maîtres du pays. Une frange de la population masculine s’est retirée dans les montagnes afin d’y poursuivre la lutte. Ces maquisards ont déclaré la guerre sainte, la Djihad. Mourir au combat assure au guerrier une place au paradis d’Allah ! régulièrement ces hommes organisent des « coups » contre les postes avancés italiens ou les unités isolées. L’un des leaders de cette Djihad, est Omar Al-Moktar, devenu depuis le symbole de la résistance libyenne. En leader, il organise le combat. Alors qu’à la fin de la Première Guerre Mondiale, Rome pense enfin en avoir fini avec les Libyens, de nouvelles opérations de guérilla sont menées par Omar Al-Moktar et ses lieutenants, Ramadan As-Swaihli et Mohammed Farhat Az-Zawi. Pour Rome s’en est trop, la colonisation doit être rapide !
Les autorités italiennes et le Comando Supremo (NDLW : Grand Quartier Général de l’armée italienne) réagissent en envoyant en Libye le général Badolio accompagné de renforts importants. La mission de Badolio consiste en l’anéantissement de toute résistance armée ou civile dans le pays. Il a carte blanche quant aux mesures mises en œuvre pour parvenir à ses fins. Badolio prend l’initiative sur deux fronts : Il engage des unités dans les montagnes à la recherche des maquisards de Al-Moktar et multiplie les arrestations dans les milieux intellectuels Libyens. Des centaines de civils soupçonnés d’être des sympathisants de la cause des résistants, sont fusillés ou pendus.
En 1922 et dans les années qui suivent, l’arrivée au pouvoir de Mussolini, Il Duce, accélère encore un peu plus la répression. En Libye, le Colonel Rodolfo Graziani prend ses nouvelles fonctions en 1928. Il y est nommé sur ordre de Mussolini, les deux hommes se connaissent et s’apprécient mutuellement. Graziani mène une lutte bien plus sanglante que celle de Badolio. Il n’hésite pas à martyriser et massacrer des populations entières. Femmes, enfants et vieillards périssent sur ses ordres, assassinés par balles, pendaisons ou encore dans le cadre d’exécutions publiques. Tout doit être fait pour briser l’arrogante tentative de résistance des Libyens. Mussolini, à bord de son yacht, l’Aurora, ancré en Adriatique, lui a donné carte blanche. Il Duce n’affirme t’il pas volontiers que la Libye doit être mise à genoux par tous les moyens : « Même si nous devons liquider la moitié de la population » !
Graziani, commence par isoler le pays de ses voisins. Il espère ainsi que les Moujahidines ne recevront plus, d’armes, de munitions et de ravitaillement. Les compagnies du génie de l’Esercito Italiano (NDLW : l’armée de terre) construisent des fortifications tout le long des frontières. Des kilomètres de fils barbelés sont déployés et des patrouilles de troupes rapides mises en place. Les premiers chars légers italiens lancent de larges opérations de reconnaissance dans les déserts arides. Les oasis sont occupées par des unités statiques, et l’Italien va même jusqu’à construire des forts. L’aviation est elle aussi mise à contribution pour surveiller le désert orientale. La deuxième étape du plan Graziani repose sur la construction de camps de concentration, sous le contrôle directe des troupes d’occupation italiennes. Privé de soutien extérieur d’une part et du support de la population libyenne d’autre part, la résistance ne devrait plus tenir très longtemps.
Au sujet de ces camps, le docteur Todesky du service de santé de l’Esercito Italiano témoigne : « De mai 1930 à septembre 1930, plus de 80.000 libyens furent obligés de quitter leurs terres et de venir vivre dans les camps de concentration de l’armée […] A la fin de l’année 1930, tous les libyens nomades vivant sous les tentes, avaient l’obligation de se rendre dans les camps. 55% de ces hommes, femmes, enfants et vieillards décédèrent dans nos camps… ». On rapporte qu’en moyenne, 50 à 70 personnes mourraient tous les jours, de maladies de privations (nourriture et eau) ou pour les plus âgées de dépressions sévères. Finalement Mussolini avait bel et bien exterminé une bonne partie du peuple Libyen…
Que devient la résistance ? La stratégie de pourrissement de Graziani porte ses fruits. En 1931, les hommes de Al-Moktar, manquent cruellement de tout et surtout d’armes et de munitions. Quant à Al-Moktar, le vieux « Lion du désert », il atteint l’âge de 80 ans. Vieux et malade, il est capturé par les italiens et condamné à mort. il sera pendu le 16 septembre 1931 à Solouq. La Libye, elle restera sous contrôle italien jusqu’à la fin 1942.